Conte de Noël..!

Conte de Noël

25 Décembre 2005


LA LUGE ROUGE

Justin loucha sur son nez bleui par le froid, sur lequel venait de se poser un des premiers vrais gros flocons de neige de la saison. Enfin !  À deux jours de Noël, il commençait à s'inquiéter......

C'est que, pour lui, c'était drôlement important ! N'avait-il pas demandé en écrivant au Père Noël (en tirant la langue sous l'effort pour bien écrire) une “belle luge, toute rouge” en plus d'un beau sapin avec “tout plein d'étoiles” et du “bonheur” pour maman ?

Hormis sa maman, qu'il aimait par-dessus tout, il aimait passionnément les sapins, surtout au printemps lorsqu'ils mettent, comme il disait si joliment, « leurs ongles neufs », et la couleur rouge, tout simplement parce que c'était comme ça. D'ailleurs, plus tard, promis, il sera pompier, et même qu'il conduira le beau camion rouge!

Justin avait sept ans et demi, (il tenait beaucoup au “demi”… faisant plus que sept tout seul!) des yeux comme des billes de jais sous une tignasse tirant vers le roux - “écureuil”  disait maman - beaucoup de taches de rousseur, dont il se serait bien passé, ainsi qu'un nez mutin retroussé. Le tout s'accompagnant, invariablement, d'un lumineux sourire.

Il habitait à l'orée d'un petit village de l'Abitibi-Ouest, niché non loin d'une grande forêt. Tout le monde le connaissait et disait de lui “Comme il est sage ce mignon petit, comme il travaille bien à l'école!”  Bien sûr, “qu'il” était sage, qu'à l'école “il” travaillait bien, puisque ça rendait sa maman heureuse!
Ouf! Il neigeait... Justin était content. Sauf que, la semaine dernière, maman lui avait dit : “Tu sais Justin, pour Noël, il n'y aura pas de sapin à la maison cette année.”

Elle avait perdu son travail, ça Justin le savait, et aussi qu'elle n'en avait pas encore trouvé un autre. Il avait compris, mais tout de même tenu à écrire au Père Noël. Pourvu que sa lettre soit bien arrivée chez lui!  Il avait donné l'enveloppe à Maman pour qu'elle y inscrive la bonne adresse, bien lisiblement.  Il a vu quand elle a collé le timbre (c'est lui qui l'a léché!). C'est donc que la lettre est partie. On ne colle pas de timbre, sinon!

Car Justin croyait fermement au Père Noël, tout comme il croyait aux lutins, parce que Pascal, le garde forestier, qui lui racontait toujours de jolies histoires, lui avait affirmé qu'ils existaient.  Alors, tout ce que pouvaient bien dire ses copains, ce n'était rien que des mensonges!
D'ailleurs, ils étaient bêtes! Aucun d'eux n'avait jamais entendu parler les lutins. Lui, si!  Bien sûr, il ne les avait jamais vus, mais lorsqu'il leur parlait, là-bas, dans la forêt, il les entendait bien lui répondre, dans son cœur!

Justement, aujourd'hui il partait leur parler quand il s'est mis à neiger, pour lui c'était un bon signe. Pascal lui avait donné le secret : il fallait fermer les yeux, bien fort, en pensant à eux, puis doucement les appeler et leur parler. Alors ils répondaient gentiment, directement dans le cœur. Justin était très doué pour ça. Arrivé dans la forêt qui commençait à mettre son bel habit blanc, il s'arrêta sous son sapin préféré : un bien gros, touffu, très grand, dont les branches basses faisaient comme une cabane sous lesquelles il se réfugiait souvent.

Il ferma les yeux, pensa très fort, appela doucement, puis commença à parler tout haut à ses petits amis : il raconta que maman lui avait dit qu'il n'y aurait pas de sapin cette année à la maison, parla de sa lettre au Père Noël, qu'il se réjouissait, à cause de la neige, des descentes qu'il pourra faire avec la “belle luge toute rouge” qu'il avait commandée, leur décrivit le beau sapin qu'il aimerait voir briller la nuit de Noël avec “beaucoup d'étoiles” dessus, sans oublier de citer ce “bonheur” qu'il souhaitait tant pour sa maman;  puis il leur demanda de bien vouloir appuyer ses souhaits auprès du Père Noël.

Ensuite, il évoqua son chagrin : que son papa, qu'il ne reverra plus, ne soit plus là.  Un soir, maman lui avait expliqué doucement le mot  “veuve”  qu'il avait pu lire sur une lettre que François, le facteur, lui avait remise un jour où elle était absente.
Jusqu'alors il avait toujours cru que son papa reviendrait du ciel ou il était parti depuis deux ans. Maintenant, il savait que non.  Il comprenait mieux pourquoi maman avait souvent les yeux rouges si bizarrement brillants…..!
Il confia sa tristesse lorsqu'elle avait ses yeux là, comment il la câlinait pour la consoler et cette façon qu'elle avait de lui faire un peu mal en le serrant contre elle.

Justin n'eut pas le temps d'entendre la voix des lutins dans son cœur : Pascal se trouva tout à coup devant lui.  Il ne l'avait ni senti, ni entendu venir.
Pascal était très grand, vraiment fort, avait une grosse voix et une magnifique moustache en virgules à l'envers qui lui chatouillait les joues lorsqu'ils s'embrassaient; surtout, Pascal avait toujours raison, connaissait un tas de choses : les secrets de la forêt,  les champignons,  le nom des arbres, des oiseaux, des petits animaux et….. les lutins!

Justin aimait Pascal pour tout ça, mais certainement aussi parce qu'il était gentil sans faire de manière, pas comme François, tiens, qui regardait toujours maman d'une drôle de façon, qui ne lui plaisait pas du tout!  Pascal c'était Pascal, un point c'est tout..!!

“Alors, Bonhomme, dit ce dernier, ému, en prenant Justin dans ses bras, tu vas prendre froid ici!  Viens, je te ramène chez toi!”

“Oh non! Pascal, attends… les lutins ne m'ont pas encore parlé dans le cœur!”

Ça ne fait rien, bonhomme, aujourd'hui nos petits amis m'ont répondu directement à moi, en me demandant de te dire que tu trouveras ta belle luge rouge sous un joli sapin couvert d'étoiles et que ta maman ne sera bientôt plus jamais triste, tu peux me croire!” Justin embrassa Pascal puis nicha, confiant, sa tête dans son cou.

Le soir de Noël, Justin s'endormit près du poêle en rêvant à sa luge. À sa demande, Maman avait invité Pascal à la maison. Pour une fois, ce vieil ours solitaire avait accepté. On le réveilla pour la messe de minuit où il pria de tout son cœur : pourvu que les lutins aient dit vrai!

Pendant ce temps, ceux-ci, car ils existent bel et bien, se mirent au travail sous les directives d'un Père Noël déployant ses plans sur la grande table de la salle à manger. Pour cette longue nuit de travail, on avait mis tous les lutins à contribution, sans exception!
Pour l'occasion, l'un d'entre eux avait même accepté que soit déraciné le tout jeune arbre qui l'abritait, avec l'accord de celui-ci bien entendu. Ensemble, en silence pour travailler plus vite, ils exécutèrent le principal, sachant que le reste s'accomplirait de lui-même, par la magie de la nuit de Noël.

Dehors, les flocons tombaient drus, tout s'ouatait. À peine venaient-ils d'achever leurs œuvres, qu'un premier gémissement de la neige, provoqué par des pas dans le chemin, indiqua, légèrement étouffé, le retour de Justin. Tous s'évanouirent alors, sous l'œil médusé de « Sucrette » la souris blanche, qui n'en revenait pas!

Justin dormait à moitié dans les bras de Pascal, malgré l'excitation qui l'envahissait.

En passant la porte, la première chose qu'il vit, ce fut un joli petit sapin, puis, sous ses branches, la plus belle luge rouge qui puisse exister!

Toutes les étoiles de bonheur qui brillèrent alors dans les yeux de Justin à ce moment-là, allèrent se poser sur le petit sapin qui scintilla… plus beau encore que celui de ses rêves.

En se retournant, le petit garçon vit Pascal, souriant, qui tenait sa maman par la main. Une maman... rayonnante!

Il le savait! ... Pascal avait toujours raison... !